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Nous étions à cet endroit précis (Source: France 2) |
L’histoire se passe un mois après ma rentrée dans ma
toute nouvelle école : l’Institut Européen de Journalisme. Après avoir
réalisé un premier reportage totalement raté sur « la crainte des jeunes journalistes
après le refus du C.S.A du passage de LCI sur la T.N.T ». Nous avions un
second sujet à réaliser, sur le tourisme. Après avoir tenté de l’angler sur « la
concurrence d’AirBnB face aux palaces Parisiens », nous devions trouver un
autre angle, avec Kévin, un camarade de classe qui avec j’étais sur le
reportage.
C’est ce vendredi 13 novembre, en 402, au fond de la
classe d’un cours de Géopolitique qui nous intéressait peu que l’on a trouvé la
lumière. On s’était mis à parler de foot pour passer le temps et du France-Allemagne
du soir. Soit Kévin ou moi avait eu l’idée : « Eh mec !! J’ai une idée, et si on faisait un sujet sur l’accueil
des touristes pendant l’Euro, on va au magasin, on prend une caméra, un pied et
on va au Stade de France ». L’idée était géniale. A la sortie des
cours à 17h45, on prend le matériel. Première étape, direction le siège de la
Fédération Française de Football, à 5 minutes en métro. Une fois là bas, une
dame à l’accueil nous informe que personne ne peut nous recevoir. Mais on
arrive à ressortir avec la carte et le numéro du monsieur qui s’occupe du dossier
« Euro 2016 ». En sortant, on reprend le métro et le RER pour le
Stade de France (SDF).
Une atmosphère normale
On arrive vers les coups de 19h30 au SDF. Se jouant à
guichet fermé, les abords du stade étaient bondés. Avec Kévin, on s’installe
en face de la porte de la tribune presse. Par manque de lumière et l’oubli de
la minette, nous n’avions que des mauvaises images. Mais pour nous, c’était
génial, on faisait ce que l’on aimait. On se trouvait avec une caméra qu’on ne
savait pas encore très bien utilisée au Stade de France, le jour d’un match des
bleus.
La caméra attire le regard et les gens ne s’empêchaient
pas de faire coucou à la caméra ou de crier haut et fort « Allez les bleus ».
Nous ne sommes pas la télé mais des jeunes étudiants en journalisme qui tentent
d’apprendre le métier. Les gens entrent dans le stade. Je suis les dernières
nouvelles du match sur mon téléphone. Le match commence et on décide de changer d’endroit, en se dirigeant vers la porte « D », plus vers le Décathlon. Un endroit
où il y a pas mal de monde, de restaurants et de bars.
Encore timides, on ne savait pas encore s’adresser
aux gens pour une interview. Se faire passer pour des étudiants ? On se
disait que ce n’était pas sérieux. Se faire passer pour des gars de BFM ?
C’était un gros mensonge qu’on ne pouvait pas utiliser.
On ne connaissait pas vraiment les abords. On tombe
par hasard sur l’office du tourisme de Saint-Denis. Dommage ! L’office
allait fermer. Mais la dame à l’intérieur, nous a laissé elle aussi sa carte
pour la rappeler et fixer un rendez-vous pour une interview. En sortant, on
fait deux, trois restaurants, les gérants ne sont pas très chauds à nous
répondre.
Un homme seul en noir
Après c’est deux refus, on décide de reposer notre
caméra sur le passage piéton de la Rue des 5 Nations. L’objectif de la caméra
était sur le stade. Il devait être 20h30. Derrière nous, la rue était
banalisée, un camion de CRS était garé et des chevaux mangeaient du foin. Rien
d’excitant. Mais un homme attira notre attention. Il était à l’écart de la
foule. Habillé tout en noir, on n’arrivait pas à deviner sa silhouette. Moi je ne
m’occupais pas de la caméra. Je laissais ça à Kévin. Je faisais en sorte de
regarder autour de moi pour éviter qu’un fou fasse tomber la caméra et que j’explique
à mes parents en rentrant que le chèque de caution du matériel prêté par l’école
sera encaissé. Donc je restais attentif. Bref, je reviens à ce mystérieux
monsieur. Je l’observe et je me rends compte qu’il regarde un peu partout autour
de lui. Bizarre le mec, alors qu’un match de foot va commencer. J’interpelle
Kévin : « Regarde le gars
derrière, il est chelou ». A peine le temps de dire ça, que quelques
secondes plus tard, il se déplace vers nous. Je préviens Kevin « le gars arrive vers nous ».
Il fixe l’objectif avec un regard plus qu’étrange, il faisait vraiment peur.
On fait comme si on ne l’avait pas vu. On prend notre
matériel et on entre dans une brasserie : « L’Events ». Un endroit
assez classe. On demande à la caisse de rencontrer le gérant. Il vient à nous
et il accepte que l’on puisse l’interroger à la fin du match. On reste à peine
5 min à l’intérieur, on n’a pas un sou pour prendre un Coca. Et puis surtout je
dis à Kévin : « Viens on sort
de là, je sens le plan foireux, à la fin du match, il y aura du monde dans son
bar. Au final il dira qu’il a trop de monde. On passera demain ou la semaine
prochaine le voir ». On sort du resto. On discute un peu à l’extérieur.
Le match avait déjà commencé depuis quelques minutes déjà. Il faisait froid ce
soir là, et puis j’avais faim. A 21h10, on décide de partir. Kévin, habitant à
Asnières prend le Tram, et moi je pars de l’autre côté pour prendre mon RER D
pour rentrer chez moi. Je préviens ma mère que je suis sur le retour. J’en ai
pour dix minutes à pied pour arriver à la gare du Stade de France. Quelle
chance ! J’ai un RER à l’approche. Je monte vite dedans.
« Hé Ben t’as entendu l’explosion ? »
Assis dans le RER, je consulte mon fil Twitter et je
vois « Fusillades vers le SDF ». Deux, trois minutes plus tard, je vois
que ça parle « d’explosions ». Je m’inquiète. Je n’ai plus beaucoup
de batterie, et j’appelle Kevin, qui devait faire le tour du Stade pour prendre
son Tram. A peine il décroche, qu’il me dit « Hé
Ben t’as entendu l’explosion ?? », un peu affolé. Moi je n’ai absolument
rien entendu, la gare se situe en contrebas du stade et c’est assez éloigné.
Lui est formel « c’est pas un
flingue ou un pétard, ça a vraiment pété fort ». Je lui dis de me
tenir au courant s’il a du nouveau et je lui dis de faire attention en rentrant.
Après avoir raccroché, je reçois des messages de certains amis « Ben ça vaaaa ? C’est urgent ! ».
La panique. J’appelle ma mère, je lui dis que « je suis dans le RER en sécurité, mais
apparemment il se passe un truc de dingue au SDF. Tu peux mettre BFM ou Itélé s’il
te plait ». Et là elle me dit de rentrer vite parce qu’apparemment il
y a des blessés. Une heure plus tard, j’arrive chez moi. J’entre à peine à la
maison que je vois à la télé qu’il y a des morts, plusieurs attaques au SDF,
mais aussi au Bataclan. Je suis tétanisé par ce qu’il se passe.
Paranoïa ou
réalité ?
Les premières images arrivent à la télé. Mais les
caméras se trouvent à quelques mètres de là où nous étions avec Kévin entre
20h30 et 21h10. J’explique à ma mère que j’y étais. J’appelle Kevin pour s’il
est bien rentré. Il me dit que oui. On se dit que l’on était aux abords du
Stade quelques minutes avant les explosions. On apprend que c’est une attaque
terroriste perpétrée terroristes. A ce moment là, je me pose beaucoup de
questions. Je me souviens de l’homme que l’on a croisé devant la rue des 5
nations. Un homme de type maghrébin, assez jeune, habillé tout en noir, d’un survêtement.
Je me dis que je suis entrain de devenir parano. A croire que le premier Arabe
est capable de faire une chose pareille, de s’exploser devant un resto.
J’appelle Kévin, je lui fais par de mon doute
concernant le gars que l’on a vu nous regarder pendant plusieurs secondes
méchamment à la caméra. Il doute aussi de lui. « Mais non toi aussi tu penses que ça peut être lui ». J’en
fais part à ma mère qui me dit « Si
tu penses que c’est lui, appelle le numéro pour témoigner ».
La sous-direction anti-terroriste au téléphone
J’ai passé une nuit devant la télé. C’était
impossible pour moi de fermer l’œil. Je pense à tous ces morts et à ce que j’ai
vécu. Je me dis que j’ai échappé à la mort. Que j’ai peut-être vu l’un des fous
qui a fait cette horreur. Je décide de regarder les « rushs » sur mon
ordinateur de ce que j’ai tourné. Je me dis que normalement je dois l’avoir
parce qu’il a regardé l’objectif. Je fouille dans ma carte mémoire. Je tombe
sur un passage entier où il y a un écran tout noir. Surement celui où le mec
nous a observé. L’écran est noir ? La raison est simple. Lorsque j’ai dit
à Kévin que le mec approchait et se mettait devant nous, il a tout simplement
fermé le « clapet » de la caméra.
Les éditions spéciales s’enchaînent. Il est midi, le
lendemain, la France est sous un état de choc. J’ai l’image de cet homme dans
ma tête. Je prends les devants et de décider d’appeler le numéro, le « 197 ».
Au bout de 2-3 minutes, j’ai quelqu’un au bout du fil. Cette personne me
demande de raconter ce que j’ai vu. Je lui explique que je suis étudiant en
journalisme, que je filmais. Je raconte tout à cette personne dans les moindres
détails. L’appel va durer 8 minutes. A la fin de l’appel, je prends une douche.
Et là, ma sœur me dit « Ton
téléphone sonne, c’est un numéro masqué ! », à peine cinq minutes
après la fin de l’appel avec l’agent que j’ai eu au téléphone.
Et là, on me parle d’une toute autre façon, bien plus
directive : « Bonjour, la SDAT,
la Sous Direction Anti-Terroriste au téléphone, vous êtes bien la personne qui
a appelé il y a quelques minutes ? Venez immédiatement au 36 quai des Orfèvres ».
Je me rhabille rapidement et je prends le train
direction le 36.
Près de quatre heures au 36
Le RER et le métro était vide. Je n’avais jamais vu
les couloirs de Chatelet les Halles vides un samedi à 14h. Des militaires
partout dans le hall et dehors. Dans les bureaux du 36, trois agents nous ont accueillis
Kévin et moi. Ils nous ont posé un tas de questions précises. Nous étions le
plus précis possible. Des souvenirs nous sont revenus comme un coup de fil que
le kamikaze a reçu et qui a duré au maximum cinq secondes. Au final, ma carte
SD a été mise sous scellé. A l’heure d’aujourd’hui, elle y est toujours. Je n’ai
pas cherché à la récupérer.
Kévin souhaitait en en savoir plus sur le lieu exact
de l’explosion et l’heure. L’un des agents a été clair avec nous, sans rien
nous dévoiler « Vous en avez eu de
la chance ». Leur dernière question a été : « Etes-vous
capable de le reconnaître formellement ? ».
Pour nous oui. On ne nous a pas recontacté depuis.
Un retour en cours compliqué
Le lundi, la routine reprenait. De tour à l’école,
les gens ne parlaient que des attentats. La première personne de l’école au
courant c’était notre professeur de « JRI ». Elle était au courant
parce que dès le samedi soir Kévin lui avait envoyé un mail pour lui dire qu’on
ne pouvait pas rendre le boulot, que l’on filmait aux alentours du stade. Sa
première réaction à notre prof qui bosse pour France 2, était de savoir si on
avait les vidéos. Plutôt déplacé de sa part. Mais logique pour elle, parce qu’elle
était à la rédaction de France 2 et la chaîne cherchait à avoir les premières
images. Dès le lundi, elle était venue s’excuser auprès de nous deux. Des
excuses acceptées. En classe, justement avec elle, tous ceux de ma classe
parlaient de ça. Nous n’avions pas fait cours. Moi personnellement, ça
bouillonnait dans ma tête. Mes yeux se remplissaient. J’ai dû sortir de cours
pour lâcher tout ce que j’avais. Les autres ne comprenaient pas ce qu’il se
passait.
J’ai passé deux, trois jours chez moi pour me vider
la tête comme aller voir la famille ou entraîner mes petits au foot. C’était
notre responsable pédagogique qui me l’a conseillée. Il faut dire qu’elle a été
cool avec Kevin et moi. Nous étions incapables de toucher une caméra pendant
plusieurs mois. Elle nous a laissé le temps d’aller mieux. C’est peut-être à
cause de ça que je ne suis pas très doué avec une caméra.
C’était bien lui
Le lundi soir, après les cours, on en savait plus sur
ce qui s’était réellement passé vendredi soir. Sur iTélé, on montrait les
visages des terroristes. J’étais dans le salon avec mon père. Et là, on montre
pour la première le visage de ces lâches.
Et là je dis à mon père « oui, c’est bien lui
que j’ai vu ». J’appelle Kévin et je lui demande qu’il regarde aussi sa
télé. Et lui aussi reconnaît la même personne. Vous vous demandez peut-être
pourquoi je ne donne pas son identité ? C’est simple… Je ne veux lui
donner aucune importance.
Leur religion : LE TERRORISME
Le bilan pour ces attaques de St-Denis et du Bataclan
ont fait plus de 100 morts. Des hommes, des femmes, jeunes sont morts. Des
abrutis ont décidé de tirer sur des innocents ou bien ils se sont explosés
comme celui que j’ai vu devant L’Events. Ils sont pour la plupart Français ou
Belges, ils sont partis à l’école. L’un d’entre eux, le « cerveau » n’avait
que 28 ans, je l’avais vu quelques mois auparavant dans un reportage sur « Envoyé
Spécial ». Il s’est fait connaître en tractant des cadavres.
Il disait qu’il tractait des jet-ski ou des motocross
dans le passé mais qu’aujourd’hui il prenait plaisir en « tractant ceux
qui combattent l’Islam ».
Mais ce sont ces gens, ces terroristes qui salissent
une religion de paix et de tolérance. A cause d’eux, des millions de musulmans
en France et dans le monde sont obligés de se justifier de leurs faits et
gestes. Il n’y a qu’une poignée d’écervelés qui massacrent les gens au nom d’une
religion qui ne connaissent pas.
Je n’ai pas écrit toute cette histoire pour me mettre
en scène et créer le buzz. Juste une sorte de thérapie. Puisque je n’oublierai
jamais ce qui s’est passé, j’apprends juste à vivre avec. Une phrase forte que
la conseillère pédagogique de l’école a tenu et qui est restée dans mon esprit.
Un grand merci à Kevin (le binôme de toujours), ma
famille, mes amis et à l’encadrement de l’IEJ Paris.
Et dire que 15 ans auparavant je vivais mon premier
match dans un stade pour voir France-Allemagne, perché en haut du Stade de France
à manger des barquettes à la fraise, avec un but magnifique de Zidane sur
Oliver Kahn.
Benamar
CHACHOUA.