dimanche 13 novembre 2016

J'AI CROISE LE REGARD D'UN TERRORISTE DU STADE DE FRANCE

Nous étions à cet endroit précis (Source: France 2)

L’histoire se passe un mois après ma rentrée dans ma toute nouvelle école : l’Institut Européen de Journalisme. Après avoir réalisé un premier reportage totalement raté sur « la crainte des jeunes journalistes après le refus du C.S.A du passage de LCI sur la T.N.T ». Nous avions un second sujet à réaliser, sur le tourisme. Après avoir tenté de l’angler sur « la concurrence d’AirBnB face aux palaces Parisiens », nous devions trouver un autre angle, avec Kévin, un camarade de classe qui avec j’étais sur le reportage.

C’est ce vendredi 13 novembre, en 402, au fond de la classe d’un cours de Géopolitique qui nous intéressait peu que l’on a trouvé la lumière. On s’était mis à parler de foot pour passer le temps et du France-Allemagne du soir. Soit Kévin ou moi avait eu l’idée : « Eh mec !! J’ai une idée, et si on faisait un sujet sur l’accueil des touristes pendant l’Euro, on va au magasin, on prend une caméra, un pied et on va au Stade de France ». L’idée était géniale. A la sortie des cours à 17h45, on prend le matériel. Première étape, direction le siège de la Fédération Française de Football, à 5 minutes en métro. Une fois là bas, une dame à l’accueil nous informe que personne ne peut nous recevoir. Mais on arrive à ressortir avec la carte et le numéro du monsieur qui s’occupe du dossier « Euro 2016 ». En sortant, on reprend le métro et le RER pour le Stade de France (SDF).

Une atmosphère normale


On arrive vers les coups de 19h30 au SDF. Se jouant à guichet fermé, les abords du stade étaient bondés. Avec Kévin, on s’installe en face de la porte de la tribune presse. Par manque de lumière et l’oubli de la minette, nous n’avions que des mauvaises images. Mais pour nous, c’était génial, on faisait ce que l’on aimait. On se trouvait avec une caméra qu’on ne savait pas encore très bien utilisée au Stade de France, le jour d’un match des bleus.

La caméra attire le regard et les gens ne s’empêchaient pas de faire coucou à la caméra ou de crier haut et fort « Allez les bleus ». Nous ne sommes pas la télé mais des jeunes étudiants en journalisme qui tentent d’apprendre le métier. Les gens entrent dans le stade. Je suis les dernières nouvelles du match sur mon téléphone. Le match commence et on décide de changer d’endroit, en se dirigeant vers la porte « D », plus vers le Décathlon. Un endroit où il y a pas mal de monde, de restaurants et de bars.

Encore timides, on ne savait pas encore s’adresser aux gens pour une interview. Se faire passer pour des étudiants ? On se disait que ce n’était pas sérieux. Se faire passer pour des gars de BFM ? C’était un gros mensonge qu’on ne pouvait pas utiliser.

On ne connaissait pas vraiment les abords. On tombe par hasard sur l’office du tourisme de Saint-Denis. Dommage ! L’office allait fermer. Mais la dame à l’intérieur, nous a laissé elle aussi sa carte pour la rappeler et fixer un rendez-vous pour une interview. En sortant, on fait deux, trois restaurants, les gérants ne sont pas très chauds à nous répondre.

 Un homme seul en noir


Après c’est deux refus, on décide de reposer notre caméra sur le passage piéton de la Rue des 5 Nations. L’objectif de la caméra était sur le stade. Il devait être 20h30. Derrière nous, la rue était banalisée, un camion de CRS était garé et des chevaux mangeaient du foin. Rien d’excitant. Mais un homme attira notre attention. Il était à l’écart de la foule. Habillé tout en noir, on n’arrivait pas à deviner sa silhouette. Moi je ne m’occupais pas de la caméra. Je laissais ça à Kévin. Je faisais en sorte de regarder autour de moi pour éviter qu’un fou fasse tomber la caméra et que j’explique à mes parents en rentrant que le chèque de caution du matériel prêté par l’école sera encaissé. Donc je restais attentif. Bref, je reviens à ce mystérieux monsieur. Je l’observe et je me rends compte qu’il regarde un peu partout autour de lui. Bizarre le mec, alors qu’un match de foot va commencer. J’interpelle Kévin : « Regarde le gars derrière, il est chelou ». A peine le temps de dire ça, que quelques secondes plus tard, il se déplace vers nous. Je préviens Kevin « le gars arrive vers nous ». Il fixe l’objectif avec un regard plus qu’étrange, il faisait vraiment peur.

On fait comme si on ne l’avait pas vu. On prend notre matériel et on entre dans une brasserie : « L’Events ». Un endroit assez classe. On demande à la caisse de rencontrer le gérant. Il vient à nous et il accepte que l’on puisse l’interroger à la fin du match. On reste à peine 5 min à l’intérieur, on n’a pas un sou pour prendre un Coca. Et puis surtout je dis à Kévin : « Viens on sort de là, je sens le plan foireux, à la fin du match, il y aura du monde dans son bar. Au final il dira qu’il a trop de monde. On passera demain ou la semaine prochaine le voir ». On sort du resto. On discute un peu à l’extérieur. Le match avait déjà commencé depuis quelques minutes déjà. Il faisait froid ce soir là, et puis j’avais faim. A 21h10, on décide de partir. Kévin, habitant à Asnières prend le Tram, et moi je pars de l’autre côté pour prendre mon RER D pour rentrer chez moi. Je préviens ma mère que je suis sur le retour. J’en ai pour dix minutes à pied pour arriver à la gare du Stade de France. Quelle chance ! J’ai un RER à l’approche. Je monte vite dedans.

« Hé Ben t’as entendu l’explosion ? »


Assis dans le RER, je consulte mon fil Twitter et je vois « Fusillades vers le SDF ». Deux, trois minutes plus tard, je vois que ça parle « d’explosions ». Je m’inquiète. Je n’ai plus beaucoup de batterie, et j’appelle Kevin, qui devait faire le tour du Stade pour prendre son Tram. A peine il décroche, qu’il me dit « Hé Ben t’as entendu l’explosion ?? », un peu affolé. Moi je n’ai absolument rien entendu, la gare se situe en contrebas du stade et c’est assez éloigné. Lui est formel « c’est pas un flingue ou un pétard, ça a vraiment pété fort ». Je lui dis de me tenir au courant s’il a du nouveau et je lui dis de faire attention en rentrant. Après avoir raccroché, je reçois des messages de certains amis « Ben ça vaaaa ? C’est urgent ! ».

La panique. J’appelle ma mère, je lui dis que « je suis dans le RER en sécurité, mais apparemment il se passe un truc de dingue au SDF. Tu peux mettre BFM ou Itélé s’il te plait ». Et là elle me dit de rentrer vite parce qu’apparemment il y a des blessés. Une heure plus tard, j’arrive chez moi. J’entre à peine à la maison que je vois à la télé qu’il y a des morts, plusieurs attaques au SDF, mais aussi au Bataclan. Je suis tétanisé par ce qu’il se passe.

 Paranoïa ou réalité ?


Les premières images arrivent à la télé. Mais les caméras se trouvent à quelques mètres de là où nous étions avec Kévin entre 20h30 et 21h10. J’explique à ma mère que j’y étais. J’appelle Kevin pour s’il est bien rentré. Il me dit que oui. On se dit que l’on était aux abords du Stade quelques minutes avant les explosions. On apprend que c’est une attaque terroriste perpétrée terroristes. A ce moment là, je me pose beaucoup de questions. Je me souviens de l’homme que l’on a croisé devant la rue des 5 nations. Un homme de type maghrébin, assez jeune, habillé tout en noir, d’un survêtement. Je me dis que je suis entrain de devenir parano. A croire que le premier Arabe est capable de faire une chose pareille, de s’exploser devant un resto.

J’appelle Kévin, je lui fais par de mon doute concernant le gars que l’on a vu nous regarder pendant plusieurs secondes méchamment à la caméra. Il doute aussi de lui. « Mais non toi aussi tu penses que ça peut être lui ». J’en fais part à ma mère qui me dit « Si tu penses que c’est lui, appelle le numéro pour témoigner ».

La sous-direction anti-terroriste au téléphone


J’ai passé une nuit devant la télé. C’était impossible pour moi de fermer l’œil. Je pense à tous ces morts et à ce que j’ai vécu. Je me dis que j’ai échappé à la mort. Que j’ai peut-être vu l’un des fous qui a fait cette horreur. Je décide de regarder les « rushs » sur mon ordinateur de ce que j’ai tourné. Je me dis que normalement je dois l’avoir parce qu’il a regardé l’objectif. Je fouille dans ma carte mémoire. Je tombe sur un passage entier où il y a un écran tout noir. Surement celui où le mec nous a observé. L’écran est noir ? La raison est simple. Lorsque j’ai dit à Kévin que le mec approchait et se mettait devant nous, il a tout simplement fermé le « clapet » de la caméra.

Les éditions spéciales s’enchaînent. Il est midi, le lendemain, la France est sous un état de choc. J’ai l’image de cet homme dans ma tête. Je prends les devants et de décider d’appeler le numéro, le « 197 ». Au bout de 2-3 minutes, j’ai quelqu’un au bout du fil. Cette personne me demande de raconter ce que j’ai vu. Je lui explique que je suis étudiant en journalisme, que je filmais. Je raconte tout à cette personne dans les moindres détails. L’appel va durer 8 minutes. A la fin de l’appel, je prends une douche. Et là, ma sœur me dit « Ton téléphone sonne, c’est un numéro masqué ! », à peine cinq minutes après la fin de l’appel avec l’agent que j’ai eu au téléphone.

Et là, on me parle d’une toute autre façon, bien plus directive : « Bonjour, la SDAT, la Sous Direction Anti-Terroriste au téléphone, vous êtes bien la personne qui a appelé il y a quelques minutes ? Venez immédiatement au 36 quai des Orfèvres ».

Je me rhabille rapidement et je prends le train direction le 36.

Près de quatre heures au 36


Le RER et le métro était vide. Je n’avais jamais vu les couloirs de Chatelet les Halles vides un samedi à 14h. Des militaires partout dans le hall et dehors. Dans les bureaux du 36, trois agents nous ont accueillis Kévin et moi. Ils nous ont posé un tas de questions précises. Nous étions le plus précis possible. Des souvenirs nous sont revenus comme un coup de fil que le kamikaze a reçu et qui a duré au maximum cinq secondes. Au final, ma carte SD a été mise sous scellé. A l’heure d’aujourd’hui, elle y est toujours. Je n’ai pas cherché à la récupérer.

Kévin souhaitait en en savoir plus sur le lieu exact de l’explosion et l’heure. L’un des agents a été clair avec nous, sans rien nous dévoiler « Vous en avez eu de la chance ». Leur dernière question a été : « Etes-vous capable de le reconnaître formellement ? ».  
Pour nous oui. On ne nous a pas recontacté depuis.

Un retour en cours compliqué


Le lundi, la routine reprenait. De tour à l’école, les gens ne parlaient que des attentats. La première personne de l’école au courant c’était notre professeur de « JRI ». Elle était au courant parce que dès le samedi soir Kévin lui avait envoyé un mail pour lui dire qu’on ne pouvait pas rendre le boulot, que l’on filmait aux alentours du stade. Sa première réaction à notre prof qui bosse pour France 2, était de savoir si on avait les vidéos. Plutôt déplacé de sa part. Mais logique pour elle, parce qu’elle était à la rédaction de France 2 et la chaîne cherchait à avoir les premières images. Dès le lundi, elle était venue s’excuser auprès de nous deux. Des excuses acceptées. En classe, justement avec elle, tous ceux de ma classe parlaient de ça. Nous n’avions pas fait cours. Moi personnellement, ça bouillonnait dans ma tête. Mes yeux se remplissaient. J’ai dû sortir de cours pour lâcher tout ce que j’avais. Les autres ne comprenaient pas ce qu’il se passait.

J’ai passé deux, trois jours chez moi pour me vider la tête comme aller voir la famille ou entraîner mes petits au foot. C’était notre responsable pédagogique qui me l’a conseillée. Il faut dire qu’elle a été cool avec Kevin et moi. Nous étions incapables de toucher une caméra pendant plusieurs mois. Elle nous a laissé le temps d’aller mieux. C’est peut-être à cause de ça que je ne suis pas très doué avec une caméra.

C’était bien lui


Le lundi soir, après les cours, on en savait plus sur ce qui s’était réellement passé vendredi soir. Sur iTélé, on montrait les visages des terroristes. J’étais dans le salon avec mon père. Et là, on montre pour la première le visage de ces lâches.

Et là je dis à mon père « oui, c’est bien lui que j’ai vu ». J’appelle Kévin et je lui demande qu’il regarde aussi sa télé. Et lui aussi reconnaît la même personne. Vous vous demandez peut-être pourquoi je ne donne pas son identité ? C’est simple… Je ne veux lui donner aucune importance.

Leur religion : LE TERRORISME


Le bilan pour ces attaques de St-Denis et du Bataclan ont fait plus de 100 morts. Des hommes, des femmes, jeunes sont morts. Des abrutis ont décidé de tirer sur des innocents ou bien ils se sont explosés comme celui que j’ai vu devant L’Events. Ils sont pour la plupart Français ou Belges, ils sont partis à l’école. L’un d’entre eux, le « cerveau » n’avait que 28 ans, je l’avais vu quelques mois auparavant dans un reportage sur « Envoyé Spécial ». Il s’est fait connaître en tractant des cadavres.
Il disait qu’il tractait des jet-ski ou des motocross dans le passé mais qu’aujourd’hui il prenait plaisir en « tractant ceux qui combattent l’Islam ».

Mais ce sont ces gens, ces terroristes qui salissent une religion de paix et de tolérance. A cause d’eux, des millions de musulmans en France et dans le monde sont obligés de se justifier de leurs faits et gestes. Il n’y a qu’une poignée d’écervelés qui massacrent les gens au nom d’une religion qui ne connaissent pas.

Je n’ai pas écrit toute cette histoire pour me mettre en scène et créer le buzz. Juste une sorte de thérapie. Puisque je n’oublierai jamais ce qui s’est passé, j’apprends juste à vivre avec. Une phrase forte que la conseillère pédagogique de l’école a tenu et qui est restée dans mon esprit.  

Un grand merci à Kevin (le binôme de toujours), ma famille, mes amis et à l’encadrement de l’IEJ Paris.

Et dire que 15 ans auparavant je vivais mon premier match dans un stade pour voir France-Allemagne, perché en haut du Stade de France à manger des barquettes à la fraise, avec un but magnifique de Zidane sur Oliver Kahn.

Benamar CHACHOUA.